Le statut d'énergie propre du nucléaire est un sujet de débat (sauf en France, où tout écologiste qui se respecte se doit d'être archi-antinucléaire). Du côté du verre à moitié plein : contrairement au charbon, au pétrole et au gaz, il n'émet pas de CO2 (c'est pourquoi quand on parle de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la production d'électricité est une préoccupation majeure dans la plupart des pays, mais pas en France). Du côté du verre à moitié vide : contrairement au solaire et à l'éolien, il comporte des risques1 et produit des déchets (et la fission nécessite du combustible, qui ne durera pas éternellement).
La question est en fait : « sortir du nucléaire » pour aller où ? Les pays qui ferment des centrales nucléaires les remplacent souvent par des centrales à charbon, ce qui est pire. Ses avantages étant à moyen terme et ses inconvénients à plus long terme, l'électricité nucléaire est crédible comme énergie de transition, en attendant des énergies plus propres et plus pérennes. Car s'il est théoriquement possible de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables, ça ne se fera pas tout seul ni tout de suite, notamment à cause de la nécessité d'un investissement massif dans des infrastructures (stockage, réseau intelligent, etc.), et le solaire n'est guère adapté à la situation européenne.
L'économie est la discipline cherchant à optimiser l'allocation de ressources limitées. Une des ressources les plus rares en France est la volonté politique (comme l'a montré le récent fiasco de l'écotaxe). Or, passer du nucléaire à des énergies renouvelables consommerait énormément de volonté politique (peut-être plus qu'il n'y a de stocks). Et épuiser des stocks qui se reconstituent très lentement n'est certainement pas pérenne2.
Il ne serait donc pas raisonnable de « sortir du nucléaire » maintenant. Il est plus efficace d'affecter les stocks de volonté politique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les transports, le bâtiment, l'agriculture, etc. (En revanche, dans les pays avec peu d'électricité nucléaire et peu de stocks de volonté politique, augmenter la part du nucléaire dans la production électrique utiliserait sans doute autant de volonté politique qu'une augmentation de la part des renouvelables, et serait donc un mauvais usage du faible stock de volonté politique.)
Une fois que les émissions de gaz à effet de serre auront été réduites, le reliquat de volonté politique pourra être utilisé pour « sortir du nucléaire ». Mais avant ça la question nucléaire n'est pas la priorité.
1 Il existe un risque d'accident, comme à Tchernobyl et Fukushima. Cependant, le premier a eu lieu dans une centrale vétuste d'un régime moribond, et le deuxième suite à un tremblement de Terre. Les causes de ces accidents ne sont pas pertinentes en France, et donc parler d'un autre Tchernobyl ou d'un autre Fukushima est ridicule. D'autre part ces accidents ont fait très peu de morts (quoique beaucoup d'autres dégâts), notamment si on les compare aux hécatombes que sont les ruptures de barrages hydroélectriques. Ceci dit, la possibilité d'un accident (y compris un accident grave) ne peut absolument pas être écartée.
2 La principale question en matière d'environnement semble sémantique : le développement est-il soutenable (traduction de l'anglais sustainable) ou durable ? Le deuxième est ambigu : le terme « bien durable » par exemple a un sens qui n'a rien à voir avec le développement durable ; un 4 × 4 est ainsi un bien durable non-durable. Je préfère le terme « pérenne » qui a l'avantage d'être un vrai mot. Et en tant que scientifique, je remarque que quel que soit le mot utilisé, le concept est au fond celui d'un régime permanent.