L'agriculture bio n'utilise pas de pesticides chimiques ni d'engrais de synthèse. Des techniques comme la rotation des cultures, le semis direct sous couvert végétal et les cultures intermédiaires de légumineuses permettent de réduire les besoins. Pour les besoins qui restent, le bio utilise du compost et des coccinelles (en gros).
Les maisons passives n'utilisent presque pas d'énergie pour le chauffage. D'excellentes isolation et étanchéité à l'air, les rayons du soleil et l'inertie thermique permettent à peu près de se passer de chauffage (le reste peut être d'origine renouvelable, photovoltaïque ou bois).
L'une veut faire sans produits chimiques (engrais et pesticides), l'autre sans énergie fossile. L'une commence par réduire les besoins en engrais et lutte anti-ravageurs, l'autre commence par réduire les besoins en chauffage. Pour les besoins restants, le bio utilise des engrais organiques et des prédateurs naturels, les bâtiments passifs des énergies renouvelables. On peut donc dire que les bâtiments passifs sont au bâtiment ce que l'agriculture biologique est à l'agriculture.
Après le premier choc pétrolier le gouvernement français a introduit une obligation d'isolation des bâtiments neufs afin de réduire la dépendance énergétique du pays. La réglementation thermique de 1974 (RT74) a ensuite été améliorée par les RT88, RT 2000, RT 2005 et RT 2012 (le graphique de droite indique l'évolution des consommations d'énergie avec les RT successives). La prochaine version, la RT 2020, instaurera les maisons passives comme norme.
Mieux isoler les murs et le toit est aisé, il suffit de plus d'isolant. Mais très rapidement l'efficacité de l'isolation diminue parce que ce sont les fenêtres qui deviennent le point faible. On passe alors au double vitrage. Ensuite le problème vient des ponts thermiques, qu'on peut régler avec des rupteurs. Les entrées d'air peuvent être contrôlées par une meilleure étanchéité à l'air et une ventilation mécanique. Quand on en est là, on va isoler par l'extérieur pour éviter les ponts thermiques, assurer l'étanchéité à l'air (et augmenter l'inertie thermique à l'intérieur). Commencer par isoler par l'extérieur une maison du début des années 1970 (sans isolation et avec du simple vitrage) n'aurait eu aucun sens. Tout comme Rome, la maison passive ne s'est pas faite en un jour.
De même, la réduction des émissions automobiles passe par une baisse de la consommation en carburant : augmentation du rendement des moteurs (un moteur plus petit suffit alors pour le même résultat), amélioration de l'aérodynamique et des pneus, allégement, etc. Les moteurs hybrides et la récupération d'énergie permettent de réduire encore la consommation. L'amélioration de l'échappement (pot catalytique, filtre à particules) réduit encore la pollution par les oxydes d'azote et de soufre ainsi que par les particules fines.
Les normes en matière d'isolation des bâtiments et de pollution automobile sont donc de plus en plus exigeantes (leur amélioration est aussi régulière, systématique et prévisible : les constructeurs automobiles savent des années à l'avance quels progrès ils devront faire). En matière d'agriculture quelques produits sont interdits çà et là (par exemple le DDT), mais il n'y a pas de diminution systématique et régulière des quantités d'engrais synthétiques, de pesticides et d'eau utilisés ni de contrôle de la pollution (la France a récemment été condamnée pour je-m'en-foutisme pour la pollution des nitrates et des algues vertes).
L'État français subventionne les travaux d'isolation dans l'ancien. Et il favorise les véhicules moins polluants (système de bonus-malus et primes à la casse). La politique agricole commune (PAC) en revanche a longtemps subventionné les agriculteurs en fonction de leur production et indépendamment des conséquences environnementales de celle-ci (même quand la sécurité alimentaire de l'Europe était depuis longtemps assurée). Comme si le système de bonus-malus favorisait les automobilistes qui roulent le plus, même si leur voiture est très polluante.
D'autre part les taxes sur les carburants incitent les automobilistes à moins en consommer, donc à acheter une voiture plus sobre, ce qui pousse les constructeurs à produire de telles voitures (la comparaison de la taille et de la consommation des voitures en Europe et au Japon par rapport aux États-Unis prouve la grande efficacité de la démarche). En agriculture, grâce à un lobbying plus efficace, les pesticides et les engrais pétrochimiques ne sont pas taxés, les agriculteurs ne paient pas de taxes sur le carburant et l'eau agricole est subventionnée par les autres utilisateurs. Par rapport à l'agriculture conventionnelle, le biologique consomme moins d'hydrocarbures mais plus de main d'œuvre. Il serait donc favorisé par une hausse de la taxation des premiers mais aussi par une baisse sur la seconde (charges sur les salaires notamment), comme recommandé par Ayres et par Jancovici et Grandjean. Mais l'écologie politique française rejetterait vraisemblablement une telle proposition ultralibérale.
Le bâtiment et l'automobile ont donc fait des progrès réguliers en matière d'impact environnemental (ce qui n'est pas une preuve de la vertu de ces industries, qui n'ont pas nécessairement agi de leur plein gré). Dans le cas de l'agriculture, il n'y a pas eu de progrès de ce genre. Dans ce contexte, les bâtiments passifs et les voitures hybrides ne sont que la suite logique d'une évolution sur plusieurs décennies. A contrario, l'agriculture bio donne l'impression d'une innovation qui n'en est encore qu'au stade expérimental et qui pourtant passe en production (certains, comme Fermes d'avenir, s'envisagent au contraire comme des prototypes) — comme si en 1974 on avait cherché à produire en grandes séries des voitures sûres et confortables consommant trois litres au cent kilomètres. L'agriculture biologique est le symptôme des retards de l'agriculture: il est aujourd'hui difficile de construire un bâtiment très supérieur à ce qu'impose la réglementation thermique, simplement parce que cette dernière est déjà très exigeante.
Dans le cas du bâtiment et de l'automobile, ce sont toutes les habitations et voitures neuves dont les performances énergétiques s'améliorent régulièrement et systématiquement. Avec l'agriculture, c'est tout le contraire : ce ne sont pas toutes les productions agricoles qui font un peu de progrès environnemental mais une frange qui fait un bon en avant. Mais un tel système est évidemment inutilement coûteux : il est plus simple et moins onéreux de réduire les intrants chimiques de 10 % sur toute la production que de s'en passer entièrement sur 10 % de la production. La réglementation thermique et les normes anti-pollution automobiles sont des succès manifestes parce que leur leur application est globale et l'amélioration systématique. C'est un modèle que l'agriculture n'essaie absolument pas de reproduire.
La production biologique est tiraillée entre augmenter la quantité totale produite et maintenir la qualité. C'est-à-dire, vaudrait-il mieux qu'il y ait beaucoup plus d'agriculture bio (ou quasi-bio) ou plutôt maintenir une agriculture ultra-bio mais marginale ? Si les standards de l'agriculture s'étaient améliorés avec le temps, la question ne se poserait pas : le quasi-bio serait déjà (en passe de devenir) la norme — comme le sont les maisons (quasi-)passives.
Ce qui fait une différence pour le consommateur ce n'est pas une agriculture sans pesticide mais une nourriture sans pesticide. Vu que la peau des fruits est riche en vitamines et minéraux, si des pesticides ont été utilisés, on a le choix entre consommer à la fois micronutriments et pesticides si on mange la peau, ou bien aucun des deux si on pèle le fruit. Bénéficier des vitamines et minéraux sans pesticides est le principal avantage des fruits biologiques en matière de santé. Or on peut a priori utiliser des pesticides tant que le fruit n'est pas encore là ; il est donc possible d'obtenir ce bénéfice important avec moins de contraintes (c'est-à-dire à plus bas coût).
De ce point de vue, un label « nourriture sans pesticide » serait plus utile aux consommateurs que le label biologique qui signifie production sans pesticide. Les agriculteurs seraient ensuite libres d'obtenir ce résultat de la manière la plus efficace possible (comme on fixe aux constructeurs automobiles des limites en matière de pollution, et à eux de faire en sorte de les respecter). Si ce sont des professionnels compétents, pourquoi restreindre leur liberté d'action comme sur une chaîne d'assemblage des Temps modernes ?
Actuellement, les consommateurs d'aliments produits vertueusement (bio ou autre) les paient plus cher et subventionnent en plus les productions plus nocives (ils paient la PAC et l'eau des agriculteurs, et subissent la pollution de l'eau qu'ils boivent et le réchauffement de la planète). Taxons les intrants chimiques (qui, comme le tabac, coûtent de l'argent au système de santé), taxons le carburant des agriculteurs, faisons payer l'eau à son vrai prix (traiter l'eau polluée par l'agriculture aurait un coût « supérieur à 54 milliards d'euros par an ») et appliquons le droit européen en matière de pollution. La PAC pourrait alors maintenir un système de subventions proportionnelles à la production (au lieu du système à l'hectare qui subventionne la propriété terrienne plutôt que la production agricole), qui seraient pour partie simple redistribution de ces taxes. En internalisant ainsi les externalités négatives, le coût de l'alimentation augmenterait sans doute pour les consommateurs, mais il diminuerait plus encore pour les contribuables.
Les agriculteurs produisant beaucoup avec beaucoup (d'engrais synthétiques et de pesticides) toucheraient beaucoup de subventions et paieraient beaucoup de taxes. Les producteurs bio toucheraient moins si leurs rendements sont moindres mais paieraient peu de taxes aussi (y compris sur les carburants si leurs ventes sont à l'échelle locale). Tous les modes de production intermédiaires pourraient être explorés : par exemple produire un peu moins en consommant beaucoup moins de produits chimiques (agriculture « raisonnée » ou « intégrée ») serait automatiquement rentable, sans besoin d'usines à gaz bureaucratico-réglementaires. La vertu agricole serait systématiquement (même systémiquement) récompensée.